mardi 25 février 2014

Peter Blegvad : de l'Apocalypse sort Léviathan !

Le livre de Leviathan
Peter Blegvad

Apocalypse 018
Août 2013

On avait laissé l'Association, célèbre éditeur indépendant apparu en 1990, un peu moribond en 2009, et Jean Christophe Menu, co créateur, avait eu maille à partir avec ses collègues dessinateurs.
Depuis 2011, l'Association est néanmoins repartie de plus belle, avec une politique éditoriale sensiblement dans l'esprit de ses débuts, tandis que JC menu a fait cavalier seul en montant l'Apocalypse.
Et nous y voici : (déjà) dix-huitième parution sur 20 à ce jour, Le livre de Léviathan est un très bel album cartonné relié format à l'italienne, au papier précieux, qui surprend par son allure en premier lieu. La maison souhaite en effet encore se démarquer avec des maquettes très originales, ou en tous cas soignées, mais le clin d'oeil à l'Hydre de sa maison première, dans le logo de cette nouvelle, revendique aussi ses origines.

Au fil du feuilletage des pages non numérotées, (168 au total), on découvre avec surprise un univers et une présentation de planches faites pour le format journal, dans le style strip anglo saxon habituel. Normal, celles-ci snt en effet parus à l'origine dans The Independent. (Voir plus bas)
… Mais que dire du fonds, après la forme ?

Leviathan est un bébé, oui un bébé, sans visage, accompagné d'un chat rayé : Klug
…. Et léviathan (Levi) parle. Et réfléchit. Il oscille entre raison et interrogations de bébé ("Dep"), ce qui fait toute son originalité. Peter Blegvad le fait donc philosopher, à sa manière, avec l'appui de ce chat.
Au fil des strip, généralement deux grandes bandes parallèles, ou une seule planche pleine page, il développe une oeuvre complètement onirique, métaphysique, et non sensique, quoi que…

Les interrogations et réflexions de l'auteur, car c'est bien de lui dont il s'agit, laissent à la fois perplexes, et respectueux, tant la richesse de celles-ci est immense. Rien ne semble arrêter Blegvad et Levy dans la recherche de l'"indéfini". On est émerveillé et interrogés sans cesse, par des idées nouvelles, des remarques rappelant l'enfance, et toutes les peurs que celle-ci peut évoquer.
Extrait issu de :
http://www.lapo.fr/018-le-livre-de-leviathan

Oscillant entre les recherches esthétiques et exploratoires d'un Art Spiegelman, et l'univers féérique d'un Deadmouse (David Nytra), (pour ne citer que des contemporains)*cet ouvrage, extraordinaire dans sa démesure éditoriale et narrative laisse pantois et se place comme une oeuvre incontournable pour tout amateur de bizarreté et de lecture non sensique.

Rafi Zabor, auteur mais surtout lui-même jazzman, signe une préface qui permettra à beaucoup de mieux cerner ce curieux mister Blegvad, qu'Apocalypse nous permet, et qu'il en soit mille fois remercié, de découvrir en français aujourd'hui.


* (…) "Américain installé à Londres, Peter Blegvad est plasticien, musicien reconnu depuis les années 70 (avec Slapp Happy, Henry Cow, jouant avec Robert Wyatt, Fred Frith ou John Greaves), et président de l’Institut Londonien de ‘Pataphysique. C’est en autodidacte qu’il a abordé la bande dessinée avec ce Léviathan qui fut d’abord un strip hebdomadaire dans The Independent, où chaque semaine, Blegvad innovait et expérimentait à la manière des premiers maîtres du xxe Siècle : on pense à Mc Cay ou à Herriman plus qu’à un livre paru en Angleterre en 2000 et maintenant traduit en Français par Claro." (…)

Note entre guillemets issue du site de l'Apocalypse, où l'on peut découvrir quelques photos de l'auteur en dédicace : http://www.lapo.fr/

147

mercredi 12 février 2014

Le Chevalier double : les très riches heures de Modrimane

Le chevalier double
Modrimane
d’après l’oeuvre de Theophile Gautier
La Malle aux images/Boite à bulles
Janv 2014


La boite à bulles fait partie de ces petites maisons d’édition qui, sans faire de bruit, s’installent tranquillement dans le paysage de l’édition jeunesse et de la bande dessinée, et ce depuis 2004.
Ici, cette adaptation d’un conte de Théophile Gautier tombe à point pour nous rappeler au souvenir d’un auteur « classique » du XIXe, et nous présenter une jeune auteure de talent.

Si beaucoup de lecteurs connaissent Théophile Gautier pour ses poésie ou ses nouvelles fantastiques étudiées à l’école, peut-être certains ont déjà lu « le chevalier double », conte d’une huitaine de pages paru en 1863 dans un recueil "Romans et contes".
...Nous sommes au moyen-âge et, un soir d’orage terrible, le château du comte Lodgrof accueille un étranger, seul, musicien et poète, dont « le sourire et le regard glaçaient de terreur et vous inspiraient l’effroi qu’on éprouvent en se penchant sur un abîme ».
Mais cet étranger est envoutant, et Edwige, la jeune comtesse, fille du comte, tombe amoureuse et se laisse séduire. …Et la pluie dure.. dure… et l’étranger reste….

Quelques semaine plus tard, alors que les éléments se sont calmés et que l’étranger est enfin reparti, Edwige se retrouve enceinte, puis accouche d’un bébé. L’accueil de ce garçon, héritier, que l’on nomme Oluf est plutôt positif. 
Mais Oluf se révèle être un garçon double. Tantôt « bon comme un ange, tantôt méchant comme un diable ».
Il lui faudra reconnaître la part démoniaque qui est en lui pour déclarer enfin son amour et assumer sa vie pleinement.


P. 31 ©Boite à bulle/Modrimane

Modrimane, (Maud Riemann), jeune illustratrice ayant fait Emil Cohl (Lyon), et travaillant beaucoup pour la jeunesse, chez Fleurus, Belin, ou aux éditions Ricochet et Bilboquet, dans des styles graphiques différents, aborde ainsi chez La boîte à bulle son deuxième album de bande dessinée, après « Le vol de la cigogne » (Sarbacane, 2010).

Ce qui saute au yeux dans ce petit album aux couleurs flashy, c’est l’aspect onctueux et doux du dessin de la demoiselle. En dehors des effets de touches colorées sur les personnages et les décors, (manière très moderne et numérique de disposer les aplats), l’encrage est réalisé au pinceau, tendrement, dans une tradition ligne claire qui rend la lecture très agréable.
On cherche alors la facilité et les raccourcis d’une telle magie, et nous nous rendons compte qu’une réelle maîtrise est à l’ouvrage, tendant même à présenter dans certaines cases de vrais tableaux moyenâgeux.
Le calendrier, le mois d'Août © RMN / René-Gabriel Ojéda

La scène de bataille finale (p.47 à 50),
particulièrement réussie
Si Le Chevalier double n’est pas les « Très riches heures du Duc de Berry » (ci-dessus), il faut cependant remarquer de nombreuses belles cases (scène de chasse, p.31), et illustrations pleine page (6 scènes de vie quotidienne, comme autant de tête de chapitre), jusqu’à l’illusion d ‘enluminure, p.54, (conclusion)… bien dans le style de l’époque. (XVe siècle)
Un style doux mais ensorcelant, et tous publics, répondant parfaitement à l’ambiance fantastique du récit.

Charmant, ce petit album dos toilé possède tous les atouts du livre que l’on souhaitera offrir ou nicher au coeur de sa bibliothèque.

Quant à Maud Riemman, on lui prédit un très bel avenir dans la bande dessinée avec ce style précis, et dans la mesure où elle trouvera d’autre scénarios de cet accabit.


146

lundi 10 février 2014

Danilo Beyruth délivre un astronaute du magnetar

Astronaute
Au coeur du Magnetar

Danilo Beyruth, d’après Mauricio de Sousa
Cris Peter, couleurs.
Panini, collection Fusion comics
Août 2013


Mauricio de Sousa est un auteur Brésilien qui a créé le personnage de l’Astronaute « Astronauta » en 1963. Il s’agissait d’une bande pour enfants dans le journal Diaro de Sao Paulo.
Ce petit bonhomme dessiné dans un style cartoon humoristique et enfantin typique de ces années là, va connaitre de nombreuses aventures dans l’espace alors qu’il vogue vers l’inconnu. Sa combinaison spéciale (et spatiale) lui permettant de voyager sans vaisseau.

Dans l’introduction écrite par l’auteur original*, celui-ci explique qu’en 2009-2011, une sélection d’auteurs brésiliens a été menée afin de proposer des versions modernes de ses personnages principaux. Les ouvrages MSP 50, MSP +50 et MSP novos 50 ont paru.
Puis une collection  Graphic MSP présentant une relecture de personnages par d’excellents artistes contemporains a suivi.
Danilo Beyruth, auteur né en 1973 a connoté un roman graphique de toute beauté qui a retenu particulièrement l’attention générale. C’est cette histoire qui nous est proposée aujourd’hui.

La voix off du héros nous raconte comment celui-ci, qui vivait enfant à la campagne avec son grand-père est parti une fois adulte voguer dans l’espace, en tant que découvreur de Magnetar.

Le magnetar, c’est « un curieux corps céleste qui se créé après la formation d’étoiles à neutrons, un des stades possible d’une étoile super massive en fin de vie. La forte vitesse de rotation de l’étoile à neutrons élève son champ magnétique, déjà très intense, au niveau de celui d’un magnetar, émettant un haut niveau de rayons x et de radiations gamma.
(…) C’est une surface aussi dense qu’un  gigantesque diamant. Le moindre mouvement de la croûte génère une secousse sismique de (32 ?) points sur l’échelle de Richter. Un tremblement de terre
stellaire ».



L’astronaute, quadra longiligne et à la barge naissante qui n’a rien à voir en termes de look avec le personnage original, et dessiné dans un style semi réaliste. Il s’apprête, après avoir arrimé son petit module spatial sur un astéroïde  proche, à sortir pour poser des capteurs aux alentours du Magnetar. Mais l’activité endommage son appareil et il se retrouve en danger, au milieu de séismes apocalyptiques.

Après avoir tenu de nombreux jours seul avec quelques moyens rudimentaires, sans espoir de secours, il va perdre peu à peu la raison…et délirer, jusqu’à voir sa propre femme Ritinha, autre personnage de la série originale, ainsi que son grand-père... et des fantômes.
C’est lors d’un de ces délires qu’il va avoir la révélation de son issue.
La combinaison spéciale  : l’uniforme 33 Titan, sorte de capsule personnelle, coincée au fond de sa navette, va lui permettre de tenter l’impossible…


La chose qui frappe au premier abord de cet album, c’est sa maquette particulièrement lumineuse et soignée. La couverture a tout d’un bon pulp de SF, et les pages glacées intérieures proposent des planches dynamiques aux couleurs chatoyantes, dans les tons de bleus métallique et d’orange. beaucoup de blanc aussi, qui donne un aspect très propre à la publication.
On aborde donc l’histoire avec intérêt.
Le récit commence cependant doucement et le lecteur se demande où veut aller l’auteur.. Le drame de la situation se transforme néanmoins rapidement en suspens, jusqu’au dénouement inattendu.

Si l’on pense au film Gravity en lisant « l’Astronaute au coeur du Magnetar », c’est à la fois une coïncidence, et un hommage sans doute indirect que le film rend à cette série, écrite et parue un an plus tôt. Ce roman graphique s’inspirant lui-même d’un personnage et d’aventures créés en 1963, le sens de l’éventuel hommage ne peut faire aucun doute.
mais en dehors de cette considération purement ludique, il est intéressant de remarquer combien Danilo Beyruth a pu écrire et dessiner un album oh combien graphique et philosophique à la fois. Ce sont deux points primordiaux que l’on retrouve justement dans Gravity. (…)

Un bel ouvrage, notable à bien des égards, recommandé pour tous publics. Bien que son niveau de lecture soit plutôt réservé à un niveau adolescent/adultes.


Necronauta, un autre personnage récent de Danilo.


(*) Un dossier sur la série originale est ajouté en fin de volume.

> Le blog de Danilo Beyruth : http://evilking.net/

et une interview rigolote de l’auteur avec  Sydney gussman (en portugais) via l’émission « Agora é tarde »

Pour se tenir informé des bandes brésiliennes :
http://espanadores.blogspot.fr/2013/09/astronauta-magnetar-danilo-beyruth.html

http://www.comichouse.blog.br/2012/11/astronauta-magnetar-por-danilo-beyruth.html

145

lundi 3 février 2014

Deadline : faire sauter les cloisons mentales

Encore une chronique "décalée" (ce n'est plus vraiment une vraie nouveauté)... mais il aurait été dommage de ne pas rappeler l'existence de ce superbe album :
Dead line
Bollée/Rossi
Glénat Sept 2013

Laurent Frederic Bollée est un scénariste qui a déjà une quarantaine d’albums à son actif. On citera entre autres la série Apocalypse mania. Mais il a surtout intégré la cour des grands à l’occasion du pavé Terra australis chez Glénat en 2013. A suivi ce « western » étrange, dessiné par le grand Christian Rossi. (West, Jim Cutlass...) Rossi, qui rend, si je ne m'abuse, un hommage mérité à son maître Jean Giraud en début de volume : "A Jean".

Deadline, malgré son grand format cartonné classique, étonne déjà par sa couverture intrigante représentant un soldat sudiste et un prisonnier noir, séparés par une ligne blanche.
Si le quatrième de couverture annonce : « Août 1864, la guerre de sécession. Une garde de nuit. Un soldat, des prisonniers. Entre eux, une ligne. Une simple ligne. Ue ligne de mort…Qui change une vie », rien ne prédispose à lire ce qui va être dévoilé dans cet album de 82 pages.

Car c’est tout l’attrait de ce récit se déroulant donc plutôt au sud des Etats unis : nous faire croire que nous sommes dans un western (d’ailleurs un autocollant promotionnel indique sur la couverture : « Par le dessinateur de West »), alors que le propos va être bien plus dramatique, personnel et intimiste qu’une simple aventure de cow boys.

Il serait inopportun de dévoiler le coeur de cette histoire, dont le suspens et l’étrangeté font tout le charme… On se contentera donc de dire tout le bien qu’on en pense, et le malaise diffus qui nous étreint à sa lecture.

Tout d’abord, notons l’entrée en matière très fantastique, due à l’invasion de papillons historique (des Papilio glaucus) venus du Kentucky cette année là. Ce phénomène naturel, incrusté dans les premières images de la planche 1 avec un cadavre de de cheval à moitié décomposé, et le texte off proposent une mise en bouche radicale, qui annonce la suite.
« Un malheur de plus après le grand incendie survenu l’année précédente, dans le comté. Le siècle était nouveau mais le sud puait toujours autant ».

Bollée nous garde ensuite dans le présent, dés la page 2, pour nous faire assister à une scène non moins étrange, un peu shakespearienne, où un homme vient chercher dans un village tranquille un vieil homme handicapé, ex sergent de l’armée confédérée, pour l’abattre froidement.
On comprend dés lors que cet homme : Louis Paugham, a vécu un passé lourd, et qu’il va falloir remonter le fil de sa vie pour comprendre son geste.
Le tintement de la cloche du village lui fait alors tourner la tête et nous tournons aussi la page, qui va nous amener dans un beau travelling, vers un premier flash-back*.

Louis Paugham n’a pas eu une enfance heureuse, et ce nom n’est d’ailleurs pas le sien. Il a été adopté lors de la mort de ses parents, onze ans plus tôt, tués par des esclaves en fuite. L’ironie : il est sauvé par un démocrate anti esclavagisme.Ce dernier va aussi être rattrapé par la haine et mourir, et Louis va finir enrôlé dans l’armée sudiste, à surveiller et déplacer un groupe de prisonniers. Les allers et venus entre passé et présent vont donc s’accumuler.
Au sein de ce groupe : un soldat noir très étrange, qui va le hanter, plus que de raison.

La scène clef, page 45 ©Rossi/Bollée/Glénat

Si le scénario, ainsi dévoilé, se pose déjà comme une histoire originale et peu commune, la suite va déstabiliser encore plus le lecteur.
Rien ne nous prépare, même pas le déchainement des éléments au milieu de l’histoire (superbe scène d’orage en pleine nuit, pages 36-38), à la descente infernale vers l’enfer psychologique que va vivre ce jeune soldat.
Dans un monde en pleine guerre civile, où les acquis de l’esclavagisme sont très forts, ce personnage déboussolé, partagé entre la vengeance de la mort de ses parents et les idées inculquées par son père adoptif, vont être entièrement remises en cause par son fort intérieur, faisant de lui un être à part, sans attaches possibles. Dés lors, il n’y a qu’une issue : et elle ne peut-être que dramatique.

Deadline est un livre fort, étrange, aux contours flous et poreux, qui diffusent plusieurs messages. L’auteur n’hésite pas à se servir de faits historiques pour affermir son propos, mais y insère au passage une histoire intime violente, dont on n’a pas l’habitude dans ce genre d’ouvrage.
Ce n’est pas un western d’aventure, mais bien une plongée introspective dans une période troublée, et le révélateur de pensées progressistes qui dérangeaient trop en leur temps.
Ajouter un sujet fort supplémentaire, tabou pour l’époque, lui confère une tonalité très moderne, mais le pose dés lors comme un ouvrage « à part », au coeur très indépendant.
Cette deadline imagée finalement, n’est-elle pas cette que s’est fixée chaque homme aux sein de son esprit ?

Deadline n’est donc pas à ranger du côté des westerns classiques, et s’il rappelle par certains aspects le « Django Unchained » de Tarantino, sorti quelques mois plus tôt, il aura plutôt sa place aux côté des grands romans graphiques adultes, même si la dizaine de flash-backs reste le point faible de l’album, qui nous perd un peu.

144

Analyses