dimanche 21 février 2016

Scutella éditions Riposte ! (et Ziyi)

Riposte
Dan Christensen

Scutella
Janvier 2016

Dan Christensen est né aux états-unis mais a suivi une formation à Angoulême et il vit en France où il a publié l'essentiel de sa bibliographie, chez Treize étrange et le Cycliste.
Si son style très ligne clair, mais avec une touche américaine vintage charmante à la Darwyn cook, peut le caractériser et le rend attachant, on ne peut pas dire qu'il ait spécialement défrayé la chronique jusqu'à présent, malgré de beaux albums.
Cela va peut-être changer avec ce nouveau roman graphique publié chez une jeune et originale maison d'édition créée en 2009 par miss Soline Scutella*.


Années cinquante, Hollywood : Luca di serafino est un jeune maitre escrimeur qui travaille pour le cinéma. Il dirige les équipes d'acteurs costumés,  mais sa grande connaissance du métier est malheureusement entachée par sa trop haute opinion de lui-même. Son excessive rigueur et ses accès de violence le desservent.
Un soir, alors qu'il est invité à une fête, il est agressé par des inconnus, et son passé va le rattraper...
©Christensen/Scutella


En dehors de l'aspect original de l'histoire, basée sur la passion de l'escrime qui anime réellement l'auteur, Riposte possède le charme des bons petits ouvrages de polar. La trame, le décor et les personnages sont suffisamment attachants, et Dan Christensen sait raconter une histoire avec un suspens habilement tenu. Son style graphique noir et blanc  raffiné, proche de celui d'un Floch, ou d'un Lapone, fait mouche, et participe grandement à son attrait. Les 158 pages se lisent avec intérêt tout du long.
De plus, malgré que cet album soit apparemment pensé comme un one-shot, on se prend à imaginer, pourquoi pas, d'autres aventures de ce héros, suffisamment intriguant, et somme toute attachant. 

Tout petit bémol : la couverture, un peu trop sombre à mon goût, et la numérotation des pages en hauteur, peu esthétique, sont un détail qui aurait peut-être mérité d'être corrigé pour rendre cet album encore plus attractif.
Le blog de Dan Christensen



De son côté, Ziyi, de Cornette et Jurg, paru en 2013, propose un beau récit muet en noir et blanc, à l'ambiance post apocalyptique un peu glauque.
Sur 135 pages, dans un moyen format à la couverture agréablement toilée/glacée, on suit  une sorte de créature mi enfant mi mammifère, (un humain irradié ?), qui, découvert par deux hommes patibulaires au fond d'une cage, dans la cave d'une maison abandonnée, va découvrir la vie du "dehors".

©Jurg/Cornette/Scutella
...Une sorte de quête initiatique, dramatique et dure, que les auteurs développent dans un déroulé au sens de lecture double. Un effet miroir, rajoutant à l'intérêt de ce roman graphique agréable esthétiquement.
Le style typé underground de Jurg renvoie vers les beaux noirs et blancs de Tanxxx, ce qui est un compliment vu d'ici.

Les douze autres titres du catalogue ont l'air d'être particulièrement originaux et prometteurs, aussi Scutella m'apparaît comme une nouvelle maison d'édition à suivre.  Conseil d'ami ! ;-)

(*) Le site des éditions Scutella : http://www.scutella.fr/

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lundi 15 février 2016

François Bertin, l'homme qui aimait les femmes

Regarde les filles
François Bertin

Vraoum
1er trim 2016

Cet album a reçu le soutien de la cité internationale de la BD à l'occasion d'une résidence de l'auteur à Angoulême.

Antoine est un jeune garçon atteint d’une sorte de mutisme, qu’il ne parvient à dépasser uniquement grâce à son don pour le dessin. Celui-ci lui permet de se rapprocher des filles, qu’il aime beaucoup apparemment, et de les dessiner, et de les séduire. C’est l’occasion pour l’auteur de nous montrer des corps en mouvements, des sourires, des poses féminines, qui font preuve d’un beau sens de l’observation.


Le style graphique est fin, le noir et blanc très maîtrisé, dans un mix parfait entre le travail d'un Bastien Vives et d'un Killofer. Beaucoup d'aplats noirs s’agencent avec une grande harmonie au sein des planches, et parfois, ils sont panachés de fins traits blanc, œuvrant comme de la gravure, ou de la carte à gratter. 
Un érotisme léger mais bien observé.
©F. Bertin/Vraoum

Avec sa manière de montrer les filles et les femmes qui l’entourent, dans ce récit aux accents autobiographiques, François Bertin nous revoit un peu au film de Truffaut : L’homme qui aimait les femmes (1977) et son érotisme troublant. Il parsème aussi son récit de références culturelles adolescentes, avec quelques clins d’œil bienvenus au manga « Cobra », et au rock (Faith no more, Evidence). Il livre aussi au passage une certaine vision de l’apprentissage du dessin. La scène où il vient, enfant, suivre des cours académiques et qu’il choisi justement le personnage de Cobra (et sa partenaire féminine) en thème libre, parlera à pas mal d’apprentis. 

François a écouté Faith no more
©F. bertin/Vraoum
Cependant, le mutisme de cette sorte de anti-héros laisse le lecteur un peu face à lui-même, et aux seuls dialogues de ces dames... créant un sentiment d’ennui, que la fin ouverte de ce long récit de 224 pages ne parvient pas vraiment à effacer.

Reste une belle œuvre graphique pleine de charme, au titre évocateur, démontrant un réel talent d’auteur.

Voir la page de l'album sur le site de Vraoum.

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lundi 8 février 2016

Drifter, de Brandon et Klein : un magnifique voyage aux confins du réel.

Drifter t1 & t 2
Ivan Brandon/Nic Klein
Glénat comics
Janvier 2016

2015 aura été l’année de la reprise en main par la maison d’édition Glénat de son catalogue comics, et de nombreux articles s’en sont fait l’écho. Il avait été d’abord dirigé un temps par Thomas Rivière, du blog Comicsplace, (2012-2014), grâce à qui on avait eu droit entre autre à Danger girl et la réédition de Out there, avant d’être repris ce début d’année 2015 par Olivier Jalabert.
De nouvelles séries, dont pas mal issues de chez Image sont été lancées, et le moins qu’on puisse dire, c’est que la comparaison éditoriale avec l’excellence de la collection indies d’Urban, n’a rien d’une coïncidence. Alors oui, les auteurs sont différents, et les volumes un peu moins épais. Mais on tient là de belles nouvelles séries, et des auteurs de talent.
Drifter est l’un des 3 grands titres lancés dés Avril, avec Lazarus et Sex criminals, qui mérite le détour.
©Nic Klein/Ivan Brandon/Glenatcomics
Abraham Pollux s’est crashé avec son vaisseau sur la planète Ouro, et il a pu intégrer avec assez d’aisance une communauté d’humains dont l’énergie nécessaire à la survie est puisée dans les profondeurs, grâce aux déchets organiques de vers géants.
Cette communauté vit en relation étroite et dangereuse avec ceux qu’on appelle les rouleurs, une race extraterrestre humanoïde acariâtre et quasi invincible.
Abraham n’a cependant qu’un désir, rentrer chez lui.
Alors qu’il intègre une troupe afin d’aller chercher de nouvelles pièce détachées sur la face cachée de la planète, ceux-ci tombent sur le vaisseau d’Abraham.  Mais à l’intérieur.. il ne sont pas les seuls…
Comment le destin d’Abraham va t-il se sceller, en relation étroite avec ces fameux rouleurs ?…

Cette série de science fiction au graphisme et aux couleurs exceptionnels* nous plonge dans un univers assez proche de Storm dogs, publié chez Delcourt en 2014 (et chroniqué ici)
Cette base, et la vie qui y règne, rappelle de bons moments, vus ou lus dans Ghost of mars (Carpenter), ou même Trish trash, récent comics de Jessica Abel. L’apanage d’un récit se situant dans une station au look un peu western.
C’est d’ailleurs le terme qui a été utilisé par l’éditeur, accolé à celui de Space opera, qui est justifié lui, entre autre par les superbes planches des pages 20 à 24 de ce tome 2, où l’on s’envole avec l’équipe à bord d’un petit vaisseau cargo, naviguant dans un univers féerique, entouré d’oiseaux blancs, ressemblant étrangement au Groot de Moebius dans Arzach.

Superbe pages 20-21 ©Nic Klein/Ivan Brandon/Glenatcomics
Tout est fait dans cette série pour nous ravir : un scénario ménageant le suspens, de nombreux personnages avec des psychologies bien différentes, des méchants dont on ne sait pas grand chose, des décors somptueux et une face cachée réservant des surprises.. et le destin de notre héros, dont on se demande s’il est déjà écrit ou pas.
On se doute en effet qu’un problème spatio-temporel lors de sa chute a pu lui faire perdre différentes notions, que les rouleurs lui rappellent d’ailleurs à demi mots, tout comme l’autre héroïne, la shérif, qui l’a recueillie en début de récit et lui a expliqué qu’il était là depuis plus longtemps qu’il ne l’avait perçu lui-même.

...La science fiction ne s’est jamais portée aussi bien dans les comics que depuis une dizaine d’année, et je pense encore en disant cela, et après avoir déjà cité deux ou trois titres, au superbe et ambitieux Prophet, d’un autre Brandon (Graham), né aussi en 1976. (chroniqué ici)
Ce Drifter fait partie des bonnes lectures du moment, et qui resteront, certainement. 
Ne le manquez pas !  NB : tome 3 à paraitre !

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> La collection Glénat comics : http://www.glenatbd.com/actu/glenat-comics.php
 Une interview des deux auteurs (en anglais) sur Vulture.com.


(*) Nic Klein est un auteur allemand très doué, et il nous fait un cadeau sur son blog en nous montrant ci-dessous comment il travaille. (Tiré de son blog : https://nicklein.wordpress.com)

Analyses