samedi 25 février 2017

La fille de l'ouvre boîte : fine lame de Rob Davis

La fille de l’ouvre boite
Rob Davis
Warum 
Janvier 2017



Véra Pike est une jeune fille vivant dans un monde étrange : « Bear park » où les objets du quotidien sont des dieux, où il pleut des lames de couteau, et où ce sont les enfants qui accueillent leurs parents, fabriquée dans ce qu’on appelle la Forge des orphelins. Ceux-ci accompagnent leurs enfants jusqu’à une date fatidique connue des seuls intéressés : l’heure de mort, et dont les circonstances et l’heure exacte sont inscrites dans le livre des morts. Nul n’échappe à son destin, sauf peut-être Véra, la propre fille de la reine, un monstre coiffée d’une tête d’horloge : la Météorloge, et ses deux amis : Castro et Scarper, qui vont tenter d’échapper à la folie de ce monde.
Ah oui, Véra a aussi un papa : un ouvre boîte, qui passe le plus clair de son temps sous le joug de sa femme, enfermé dans un tiroir.

Lorsque l’on rentre dans l’univers de Vera Pike, on découvre rapidement et avec choc une part de ce qui fait l’originalité de l’auteur. Rob Davis est un auteur engagé, et amoureux du médium, cela se sent. Il l’a prouvé avec ses précédents projets, dont l’anthologie Nelson, et démontre ici un talent très particulier de conteur. Si je n’ai pu personnellement m’empêcher de penser  à Courtney Crumrin, la jeune demoiselle au caractère bien trempée créée par Ted Naifeh, qui a aussi fort à faire avec des créatures étranges, dont ses camarades de classe, (Akiléos), le non sens et l’univers complètement loufoque d’un Ash Barrett (Vincent Hardy, Vent ouest 1986-87) vient aussi à l’esprit. La folie et l’aspect sociétal déphasé de la série «  Mardigrasdescendres, d’Eric Liberge (1998-2005) peut aussi présenter un beau rapprochement de genre.

La thématique politique est forte, et comme tout bon auteur de comics anglais qui se respecte, pourrait on dire, (en tous cas toute la génération 2000Ad, et les compagnons de route d’Alan Moore), on verra un clin d’oeil sûrement non innocent à 1984 dans cette horloge surveillant tout de loin, voire  un autre, à la série british le Prisonnier , lorsque d’étranges véhicules poursuivent nos héros dans un drôle de village ou des « Décepteurs » sont là pour récupérer ceux qui se refusent à leur destin.
On notera aussi la mise en lumière de la profession de journaliste, qui pourra rappeler au passage le comics en cours Paper girls (Brian K Vaughan/Cliff Chiang, Urban 2016), où une équipe de journalistes à vélo n’hésite pas à laisser tomber son accord de principe concernant le respect de la loi, afin de créer un scoop plus intéressant en aidant les fuyards et en acceptant la publication d’un livre interdit. (Politique et actuel, vous avez dit ?)  

Côté graphique, si le dessin de Rob Davis ne possède pas la patte la plus engageante que l’on puisse rêver au premier abord, dans un style que l’on pourrait qualifier de jeunesse en France, même s’il est effectué en noir et blanc, ce petit bémol est largement dépassé par l’ingéniosité et l'extravagance du scénario.

Culte !

La page du livre chez Warum éditions

Nb : cette chronique est tirée d'un article plus long sur l'auteur Rob Davis, à lire sur le site BDzoom, où je publie depuis Juillet 2017 régulièrement un papier consacré aux comics alternatifs.
Franck, alias Hectorvadair.


samedi 4 février 2017

Stern, où l'ombre du grand Eisner dans la cité

Stern T2 La cité des sauvagesFrederic et Julien Maffre
Dargaud
Janvier 2017

Marrant comme la vie réserve de belles surprises. Je m'en étonne toujours. 
En quête du prochain album qui serait l'objet de ma chronique hebdomadaire, je suis attiré par la couverture d'un album grand format. Feuilleté rapidement, je trouve le dessin et la mise en page suffisamment agréables pour le choisir. Mais on me signale qu'il s'agit déjà du deuxième tome d'une série. Je repars donc avec les deux albums sous le bras.
La couverture du premier est encore plus réussie :  beau dessin un peu à l'ancienne  avec une mise en couleur non encrée sur le fond. Des croix tombales, un grand échalas à l'air plutôt sympathique, un pelle sur l'épaule, un sous- titre attirant : Le croque mort, le clochard et l'assassin, et un titre en très gros lettrage : Stern. 
Elijah Stern
 est un jeune homme d'une trentaine d'année à peine, qui dans sa première aventure nous est présenté comme un officiant croque mort dans la petit ville de Morrison, dans le comté de Coffey, Kansas. Il est chargé de la préparation du corps et de l’enterrement d’un homme, qui semble décédé d’une mort naturelle, bien qu’alcoolique notoire. La femme de ce dernier, responsable d’une ligue de bienséance, demande néanmoins à ce qu’une dissection soit faite, pour établir et témoigner du coté néfaste de l’alcool sur le corps. Mais les poumons du mort révèlent qu’il a été asphyxié.  Cette révélation inattendue amène le trouble dans la petite ville. Est-ce la jeune prostitué avec laquelle il était juste avant de mourir, la responsable ?Elijah apparait malgré lui comme un très bon enquêteur, et au delà de cette piste va aussi découvrir d’autres secrets et remonter jusqu’à un épisode traumatisant de son enfance, une sombre histoire de confrontation entre rebelles et civils lors de la fin de la guerre de sécession.
Kansas city, qui grouillerait presque comme le Bronx
©Frederic et Julien Maffre/Dargaud
Pour ce second tome, « La cité des sauvages », on part d'un constat intéressant et assez peu courant dans la bande dessinée, car il s'agit pour notre héros de se fournir en livres. Des romans classiques plus précisément, de ce que le tout début du Vingtième siècle a accouché de mieux en littérature française et anglo saxonne.  Car Elijah est lettré. Or la boutique du petit bled où il vit ne peut pas le fournir, et il doit se résigner à partir, à dos de mule, pour 36 heures de déplacement dans la grosse ville la plus proche : Kansas city.

Chercher à lire des romans dans une bande dessinée, j'avoue que l'idée est plutôt sympathique, et porteuse de pas mal d'ouvertures...

On ne dévoilera pas le périple de notre anti héros, dans cette ville moderne encore en train de se construire, (1882), qui réserve bien des surprises. Mais je tire mon chapeau à l'inventivité scénaristique de 
Frederic Maffre qui permet d’offrir au lecteur un agréable moment de lecture,  ponctué de rebondissements tous plus savoureux et surprenant les uns que les autres, dans un ton à l'humour pince sans tire très personnel. Que dire cependant du dessin de son frère Julien ?  Si j'ai beaucoup apprécié celui du premier album, que j'aurais personnellement rapproché, si cela m' est permis, de celui de Chauzy...c'est à un autre dessinateur bien plus emblématique auquel j'ai pensé en dévorant ce second tome. Le fait est que son dessin a évolué, peut être un peu plus intégré dans les fonds de décors, à moins que ce ne soit la couleur qui prend davantage possession du dessin...toujours est il qui sur certaines cases, l'esprit du grand Will Eisner plane...ce qui est assez surprenant pour être relevé. 


Un personnage féminin et une attitude toute Eisnerienne...
©Frederic et Julien Maffre/Dargaud

Car enfin, s'il ne s'agissait que d'un trait...mais ce sont des attitudes, des positions de corps, des décors de vie urbaine même qui happent et interpellent. Comment est-ce possible ? Sommes-nous dans Dropsy avenue ? Dans le Bronx ? Quelle est cette petite femme en train de réprimander son homme, (un juif qui ne s'assume pas d'ailleurs), si ce n'est un personnage du maître du roman graphique, qui a su si bien raconter la vie de ces familles juives de milieu populaire du milieu du vingtième siècle aux Etats-unis ? Je retiens aussi la touche artistique de ce tome, où les auteurs donnent l'opportunité à leurs personnages de manipuler et échanger autour de tableaux, avec tout ce que cela implique sur l'importance de la culture dans la vie. Cela n'est pas si courant dans une série de bande dessinée dite "classique". Des atouts particulièrement précieux qui me font dire que cette nouvelle série et ce personnage d'Elijah Stern sont promus à un grand avenir.   
 


On vit et on souffre dans Stern, comme dans des "Affaires de famille"
 ©Frederic et Julien Maffre/Dargaud

250

Analyses