jeudi 30 juin 2016

Rumble, ou Burroughs en héritage chez Arcudi

Rumble 1 la couleur des ténèbres
John Arcudi/James Harren/Dave Stewart
Glénat comics
Avril 2016

« Rumble », c’est le bazar, le chamboulement... la panique.  C’est ce qui arrive ce soir dans le bar tranquille de Rufus, où Bobby, le jeune employé, sert un dernier verre au voeux Cogan dans ce quartier malfamé d’un New York quelque peu futuriste. Surgit alors de nulle part une créature mi homme mi épouvantail, armée d’une énorme épée, qui se met en tête de découper menu le vieux poivrot. Ce n’est que grâce à l’intervention bienvenue (à coup de batte de baseball) de Bobby que la tragédie s’arrête là, après que Cogan se soit fait tranché un bras, et ait disparu.
Et tandis que la police alertée constate les dégâts (un simple épouvantail décapité à terre), d’autres créatures diaboliques furètent dans la nuit, à la recherche de Bobby et... de l’épée qu’il a dérobée.
Si l’on rentre de manière si abrupte dans ce comics, avec une scène violente d’entrée de jeu, c’est pour mieux ensuite déguster les nombreuses surprises scénaristiques que John Arcudi nous a réservées. Cet auteur de talent a déjà séduit de nombreux amateurs de science fiction et de fantastique, à l’occasion de récits sur les licences The Mask, Aliens, Terminator… ou d'autres écrits excellents, entre autre pour et avec Richard Corben (Aliens alchemy) ou Mike Mignola (BPRD, Abe Sapiens, Withfinder…), et cela donne le ton.
©Arcudi/Harren/Glenatcomics

Ici, il développe un univers tout à fait intéressant, mêlant l’ancien monde (celui de Rathraq, un guerrier des débuts de la Terre, trahi par des démons, et dont l’âme prisonnière durant 1000 ans n’a pu se réincarner que dans un épouvantail, et qui cherche donc vengeance), et le nouveau, où vont s’associer au final des humains (Bobby et son pote) et des anciens dieux dont les comptes doivent être réglés. Grâce à un subtil jeu de flashback, et au dessin magnifique de James Harren*, dont le trait rappelle un peu celui de Rob Guillory (cf Tony Chu), le récit nous fait traverser des scènes de toute beauté, mélangeant passé, présent, et lieux perdus, le tout avec beaucoup d’humour, et une vraie histoire au milieu. 

Le  quatrième de couverture et les publicités indiquent « Prêt pour un grand carnage ? »
.. J’aurais plutôt titré : « Prêt pour un grand voyage ?», tant ce bouquin est riche dans sa capacité à conter, et même s’il va puiser quelque peu dans la mythologie Burroughsienne ("John Carter from mars" entre autre) sur certains aspects les plus exotiques.
Une belle surprise, à la mélancolie latente, dont on attend la suite avec impatience !



(*) à ne pas confondre avec l’éditeur James Warren !

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jeudi 23 juin 2016

Becky Cloonan débarque solo en France grâce à Lounak éditions


Hasard ou destinée
Becky Cloonan 
Lounak editions (Montréal) 
Mai 2014

Jim Lee signe un petit mot au quatrième de ce beau petit album, et Scott Snyder signe la préface. Pas mal comme parrainage, non  ?
Un des comics originaux
Becky Cloonan (Rebecca de son vrai prénom), est une artiste italienne vivant aux états unis, qui, si elle est publiée par de grands éditeurs, (Marvel, Dc, Darkhorse, cf entre autres : American Virgin avec Steven T. Seagle de 2006 à 2008), Northlanders #35-36: "The Girl in the Ice" dessin avec Brian Wood en 2011, Conan avec Brian Wood au scénario en 2013…), s’autorise de temps en temps des auto publications en édition « limitées (1000 ex.)  
Cela a été le cas pour ces 3 histoires en noir et blanc : « Loups, le Marais, et Démeter », qui ont été finalement regroupées dans ce beau recueil cartonné à jaquette et publié par le studio Lounak qui se lance dans l’édition papier et décide donc de se positionner sur le marché français. Une aubaine donc, car enfin, j’avais, je l’avoue, au départ, pas vraiment prévu de m’extasier en rédigeant ceci :
©Becky Cloonan/Lounak
« Malgré de superbes dessins à l’encre, noir et blanc, aux traits onctueux et à un style romantique/gothique très plaisant, les courtes histoires de Rebecca Cloonan n’arrivent pas à nous emballer.
Certes la thématique liée aux malédictions et aux amours contrariées, les cadavres, de champs de batailles, revenant d’entre les morts, ou noyés sont superbement dessinés, mais on reste avec le sentiment d’avoir parcouru un beau livre d’illustration, rien de plus. La galerie carnet de dessin intitulée « Contexts » des dernière pages renforce ce sentiment.
Dommage.. «
©Becky Cloonan/Lounak (carnets de fin d'album)


Néanmoins, après avoir (re) vu ce qu’elle avait dessiné pour les autres, j’ai ré évalué mon jugement pour finalement accepter que :
Si Becky n’a pas encore apparemment la totale maîtrise d’un parfait scénario qui permettrait de classer ses oeuvres solo au niveau de certains des pairs avec lesquels elle travaille, elle a au moins déjà le mérite de dessiner superbement bien, et de nous enchanter avec son trait et la poésie romantique qui s’en dégage.
On se repenchera donc sur son oeuvre déjà existante avec un intérêt et un appétit aiguisés.
Une superbe édition avec jaquette
Illustration ©Becky Cloonan tirée de son site


Cela me donne l’occasion de vous proposer, chers lecteurs, de rester aussi attentif aux autres parutions de ce jeune label de bande dessinée Montréalais Lounak studio, et en particulier le roman graphique animalier : « L’Abominable Charles Christopher » qui semble avoir défrayé les chroniques et mérite toute notre attention. A suivre donc.
Ps : je vous laisse admirer l'art de Becky grâce au pèle mêle ci-dessus choisi.
L’Abominable Charles Christopher ©Karl Kerschl
Visiter le site de Becky :



jeudi 16 juin 2016

Des traditions ancestrales dénoncées avec talent par Zidrou et Beuchot.

Un tout petit bout d’elles
Zidrou & Raphaël Beuchot
Le Lombard
Mai 2016

On l’a vu dans la précédente chronique, Zidrou est doublement présent ce début d’année. Il s’est associé, pour le meilleur, avec ce dessinateur nantais pour les 3 premiers albums, d'ailleurs liés, de sa jeune carrière. > La "trilogie africaine" d’après l’éditeur.

Dans ce récit se déroulant de nos jours au Congo, les deux auteurs, réunis sur le scénario, nous font découvrir la relation entre Yue, jeune ingénieur chinois travaillant sur une exploitation forestière, Antoinette, une belle et grande congolaise, et sa jeune fille Léonine.

Si l’amour permet le rapprochement de deux êtres pourtant d’origines et de cultures différentes, les exactions capitalistes et coloniales des patrons de l’un se heurteront aux traditions quelques peu barbares de l'entourage de l’autre. Mais rien n’empêchera le meilleur…

Un tout petit bout d’elles interpelle positivement, dans la mesure où Zidrou et Beuchot réussissent à mener leur dénonciation (celle de la coutume de l’excision chez les femmes), tout en montrant clairement en parallèle l’exploitation peu scrupuleuse contemporaine du sol africain par les entreprises chinoises. Deux angles quasi documentaires se complétant et s'immergeant parfaitement dans un récit de fiction.
D'autant plus que Yue est un humaniste, et qu'on s'attache facilement à son personnage. Tout comme on partage avec plaisir la relation amoureuse qu’il entretient avec Antoinette. Mais il ne pourra lutter seul contre les traditions ancestrales, et c’est pourquoi, au delà de l’histoire menée en 92 pages, un cahier documentaire est proposé en fin d’ouvrage, afin de donner des chiffres, et les informations nécessaires.*

Un album qui sera fortement recommandé aux structures à vocation pédagogique, mais pas uniquement, car le dessin de Raphaél Beuchot, et ses couleurs très agréables (réalisées par Sarah Murat), sont au diapason d’un ton ne manquant pas d’humour, aptes à séduire tous les lecteurs.
On réservera néanmoins sa lecture aux enfants à partir de 10 ans, accompagnés, car certaines scènes ou images pourraient choquer les plus jeunes.



Nb : Même si le Congo n’a pas de statistiques disponibles, il est entouré de pays pouvant aller de 5 à 75% de femmes excisées.

mardi 7 juin 2016

L'adoption réussie de Zidrou et Monin

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L’adoption
Zidrou/Arno Monin
Grand angle (Bamboo)
Mai 2016

Arequipa, Pérou. Un tremblement de terre. Presque 60.000 victimes.. et parmi elles une petite orpheline : Qinata.
Quelques semaine plus tard, et bien plus loin, en Belgique, un couple de retraités, les Van Osterbeek, accompagnent leur fils et sa femme, à l’aéroport, pour récupérer la petite, car ils ont décidé de l’adopter.
On va accueillir, en même temps qu’eux, ce nouveau petit arrivant, qui va chambouler leur vie, et surtout celle d’un grand père dont la vie bien pépère n’attendait pas ça.

Zidrou est un stakhanoviste de la BD et publie sans discontinuer des albums avec divers dessinateurs depuis bientôt 30 ans. On remarque ce mois-ci deux albums aux sujet familiaux et sociaux : cet album et Un tout petit bout d’elles, sur la circoncision.
Un domaine (le social) que cet ancien instituteur semble avoir envie de développer. Tant mieux.

Dans l’Adoption, c’est d’abord le superbe dessin aux couleurs lumineuses du jeune Arno Monin que l’on remarque. Un dessin gras, souple, et semi réaliste, à l’encrage fin, recouvert de couleurs douces, …presque de l’aquarelle.
Puis en faisant défiler les pages, et en entrant dans le récit, c’est le ton de Zidrou qui nous prend les tripes. Du vécu, il y en a, c’est sûr. La description du couple d’anciens (de grands-parents), entre autre, changé dans son quotidien tranquille, est une petite merveille d’observation sociale. Les dialogues sont, de même, savoureux.
©Zidrou/Monin/Bamboo

On s’attache bien sûr à ce grand-père : Gabriel,  mais aussi à ses deux compère retraités, anciens boucher, fromager, boulanger…qui se retrouvent régulièrement pour leurs petites rencontres « sportives », toujours conclues par un coup au bistrot du coin. Et on fait le même chemin que lui finalement… en intégrant peu à peu ce petit être sauvage, ce petit corps étranger, qui parle à peine… petit bout de chou qui ne demande qu’à aimer, et être aimé.
Beaucoup de poésie bienveillante.

On ne dévoilera pas le subtil rebondissement que l’auteur nous réserve néanmoins en fin de tome, retournement qui nous prend de cour et rétablit de plein fouet une réalité malheureusement difficile et cruelle… mais l’espoir de trouver une suite digne de ce premier tome nous réjouit d’avance.

Zidrou et Monin, un duo de choc, pour un album réussite.


Vivement conseillé, et tous publics.

mercredi 1 juin 2016

La malédiction qui s'abattit sur Gotham : Mignola amène Batman dans son univers

Batman La malédiction qui s'abattit sur Gotham
Mignola, Dan Raspler, Richard Pace/ Troy Nixey
Urban comics
Mai 2016
Mélanger Batman et le mythe du Chtulu est plutôt une bonne affaire, pour tout ceux qui goûtent à l'oeuvre de Lovecraft. Avoir Mike Mignola au scénario ne gâche rien., lui qui avait déjà travaillé avec Troy Nixey sur une série courte déjà dédié à l'univers du romancier de Providence avec Jenny Finn. (E Proust, 2009).  Ce recueil complète cette série de 3 numéros datée 2000 avec un Batman legends of the Dark knight #54 « Sanctum», de 1993. (Déjà édité par Rackham en France, en format moyen, souple, en 2004.)



1928, Un chalutier revenant d’une mission en Antarctique ramène dans ses cales à Gotham une créature d’un autre âge issue des glaces. Le jeune Bruce Wayne, pas encore complètement investi dans son rôle de justicier, va se retrouver mêlé à l’invasion planifié d’une ancienne divinité.
A ses côtés, des personnages que l’on connaîtra plus tard dans la mythologie DCienne comme Green arrow, Double face, ou le pingouin.


L’intérêt premier de cette série est de nous plonger concrètement dans l’univers Lovecraftien dés le départ. Avec l’aventure polaire, et le retour à la civilisation façon Nosferatu, on baigne dans le cauchemar. Mais la thématique du Chtulu, cette divinité antédiluvienne qui réclame son dû, et se sert d’esclaves pour lui offrir sa pitance faite des mondes qu’elle visite, va imprégner davantage le récit et nous faire dériver de manière détournée vers la série plus connue du scénariste : à savoir Hellboy.


On goûte avec plaisir les « origines » de ces personnages vieillissants, qui auraient pu être des héros, mais qui ici, comme Henry Queen, ne semblent que porter la trace d’une futur lignée héroïque, car le destin en a voulu autrement. Quant à Double face/ Harvey Dent, c’est ici un empoisonnement au sumac qui lui apporte la célèbre défiguration bien connue, et qui le rendra disciple involontaire de chair de la créature.
Des manières détournées de rafraichir en quelque sorte le mythe Batman, tout en, paradoxalement, le vieillissant, car en nous projetant dans une époque propice aux élucubrations du créateur de cet enfer, à savoir Lovecraft. (1890-1937)


Un travail donc assez plaisant de Mignola, Raspler et Pace, mis en images par un Troy Nixey assez convaincant; au style polar ceci dit un peu figé dans le trait, mais qui n’enlève rien au récit.


En bonus, « Sanctum », de 1993, dessiné par Mignola, et scénarisé par lui et Dan Raspler, ou comment préparer une future histoire de Hellboy en utilisant le personnage du Batman. En effet, l’idée de faire délirer le personnage, couché sur une tombe et affaiblit par l’emprise du cadavre gisant dessous a depuis été revu dans au moins un épisode du détective à cornes rouge. Une sorte de préquel intéressant…


Au final, un recueil pas désagréable, qui mérite de figurer dans votre bibliothèque DC/Lovecraft.

Analyses