mercredi 25 février 2015

Moonhead est Andrew Rae !

Un petit livre cartonné, au dos toilé jaune.
Moonhead et la music machine.
Andrew Rae

Dargaud
Janvier 2015

C'est fou comme les éditions Dargaud ont le chic pour découvrir et sortir régulièrement des trésors étrangers, souvent indépendants*, et présentés de superbe manière. Ils s'ajoutent en cela à bien d'autres éditeurs concernés (Cornelius, Diablo, An2, Akileos, ...etc.) Mais il pourraient s'en passer vu leur catalogue?
...et pourtant.
Moonhead fait partie de ces petits trésors cachés, pourtant très bel objet, que l'on prend plaisir à feuilleter, lire et au final vouloir partager.

Andrew Rae est un londonien, artiste graphiste, vidéaste, et musicien, qui signe là un de ses troisième comics, car il réalise sinon pas mal d'illustrations pour des magazine set revues, ou des agences publicitaires.
Il fait partie du collectif Peepshow. (Voir le lien sur son site)
Andrew Rae, par lui-même.


Moonhead, c'est l'histoire d'un jeune lycéen, un peu timide, un peu gauche, qui a la particularité de porter à la place de la tête une lune. (?)  Sa famille est identique à lui, et rien ne semble déranger la société "normale" qui l'entoure, ni ses camarades de lycée, mis à part qu'il est un peu chahuté, ...mais cela vient de son tempérament.
Comme il rêve un peu trop, et que ses résultats ne sont pas bon, il rêve de devenir musicien et de s'échopper par le biais de la musique. Il fabrique alors une sorte de guitare magique, avec des matériaux de récupération, et sa musique machine prototype est ensuite réajustée par un petit fantôme, le seul qui écoute et comprend sa "musique".
Le nouvel instrument va alors produire des sons et des visions magiques, et la vie de Moonhead va s'en trouver changée. Les gens autour de lui subiront aussi des transformations…

Page 80 : influences vous avez dit ?

Andrew Rae possède un univers alternatif très cool et très "MTV" d'après sa bio sur Artspace.com, mais je dirais qu'il a surtout la grande qualité de ces artistes tournés vers la culture alternative anglo- saxonne 90's. (Ce qui revient un peu au même.)  Voir ses influences : Jonathan Richman, Deerhunter, Beck, Warren Zevon, PJ Harvey, John Parish, Nick Cave, Barrington Levy, Department of Eagles, Howlin' Wolf, Devo, Talking Heads and Toots and the Maytals. (même source)
Et graphiquement, il s'inscrit dans la lignée de ces dessinateurs et conteurs bizarres tels : Seth, Dash Shaw, Tom Kaczynski… et j'en passe.
Chez nous, des gens comme Angil and the Hiddentracks auraient pu bosser avec Andrew Rae, et il n'est pas dit qu'un jour, Angil (Mickaël Mottet), et lui, ne se rencontrent.

L'album sur Bandcamp.
http://themoonheads.bandcamp.com/album/loosen-your-neck-2

En tous cas, l'artiste va jusqu'au bout de sa logique, et propose un album complet des ses rêveries musicales avec Losen your neck, album pop folk-garage dix titres à acheter sur Bandcamp.
Où ...comment passer d'une chronique BD à une chronique musicale. :-)
> "Losen your neck" est un super album, bien dans la lignée de bands labellisé "Route du Rock", et mon seul regret, en tant qu'amateur, c'est qu'il ne nous soit pas proposé sous forme vinyle.

Un univers chaleureux, poétique et riche, à découvrir !

Website: andrewrae.org.uk

(*) Je me souviens par exemple du plaisir des découvertes de Intégrales des Peanuts, maquettés par Seth, ...des Boondocks, de Batling Boy, de Body World, de Ouvert la nuit, Wizzywig

http://www.artspace.com/andrew_rae

La fiche de l'auteur (avec quelques pages) sur le site Dargaud.

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lundi 9 février 2015

L'esprit à la dérive... se souvenir des belles choses.

Des cailloux pour oublier..
ou se souvenir des belles choses...
L'esprit à la dérive
Samuel Figuière
Warum, janvier 2015

En 2002, la maison d'édition associative Onabok publiait le collectif "A nos pères". Un ouvrage en bande dessinée qui regroupait les expériences variées d'artistes dessinateurs roannais, en rapport avec leur père, mort brutalement, ...ou pas. Un livre qui avait reçu un bon accueil critique.

En refermant "L'Esprit à la dérive" roman graphique de 112 pages noir et blanc,  paru chez la maison d'édition indépendante Warum , on se dit que l'esprit qui souffle ici est un peu le même.
Raconter la dérive d'un père qui sombre inexorablement vers la sénilité, cela avait été entre autre bien évoqué dans le récit de Christian Chavassieux, sur le thème de la maladie d’Alzheimer. Ici, pas de nom barbare, mais une poésie exacerbée, grâce au talent de Samuel Figuière, jeune auteur au dessin habituellement plutôt axé jeunesse, qui trouve dans ce récit autobiographie et plus adulte le ton juste pour rendre hommage à son père artiste, qui aura souffert de son service durant la guerre d'Algérie, et dont la maladie réveillera les traumatismes.

Celui qui avait en effet fait le choix de ne pas porter les armes, par conscience humaniste, a subit l'incompréhension et les représailles de ses supérieurs, ainsi que plus tard, comme tout soldat de cette guerre, les fantômes des horreurs vues ou commises.
Et alors qu'il ne pourra plus parler, plus se souvenir de sa propre famille, lui restera uniquement le geste, celui de l'art brut, réalisé avec les éléments naturels.
Samuel Figuière déroule son récit tranquillement, habilement, en se servant à un moment donné des notes de son père. Il témoigne de façon habile (comme l'a fait dans un autre registre et d'une autre manière Jacques Tardi avec son père cf Stalag IIB) de l'expérience des appelés dans ces conflits inhumains. Grâce à un trait semi réaliste, rehaussé de légères trames grisées (à la Davodeau ?), il met parfaitement en valeur sa narration, l'amenant subtilement vers l'abstrait, et l'universel.

Un livre fort, émouvant, où l'art s'avère tout autant le sujet que la guerre et la maladie, et qui se pose dores et déjà comme un incontournable de l'année.


(*) Fondée en 2004 par deux auteurs issus des arts décoratifs de Paris, Benoît Preteseille et Wandrille Leroy, WARUM est une maison d’édition de bande dessinée atypique qui a volontairement choisi de s’éloigner des codes du genre pour promouvoir avec humour une bande dessinée expérimentale et novatrice, dans deux collections, Civilisation (phalange artistique) et Décadence. (Tiré du site de l'éditeur)


Le blog de Samuel : http://samuel-figuiere.com/

Les éditions Warum : http://www.warum.fr/bibliotheque.php?livre=72

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mercredi 4 février 2015

Buffalo runner : Tiburce Oger conte le crépuscule de l'ouest américain

Buffalo runner
Tiburce Oger
Rue de Sèvres
Janvier 2015

Il est des albums qui vous attirent avec leur couverture, et qui tiennent leur promesses une fois le livre lu et refermé.
Buffalo runner est de ceux-ci.

1896, un atelier de photographie dans une ville américaine, peut être de l'est. Un bourgeois pose, travesti, en costume de cowboy de pacotille, puis s'arrête ensuite sur des photos posées au mur.
Un portrait l'interpelle. Il s'agit de Edmund Fisher, un véritable homme de l'ouest, que le patron de la boutique a fait poser pour l'éternité, vers 1888, dans les plaines. Et le récit, bifurquant par un épisode tragique se situant au même moment dans le sud du Texas et mettant en scène ce même Edmund Fisher, vieilli, commence..
Alors qu'une famille de colons pénètre en cariole dans une passe désertique afin de rejoindre la Californie, celle-ci se fait attaquer par des bandits, qui laissent uniquement, mais violée on suppose, la jeune femme du convoi, grâce à l'intervention inattendue de mister Fisher.
Celui-ci récupère la demoiselle, et, s'hébergeant pour la nuit dans ce qui semble être le repère d'une partie de la bande, ils attendent le matin, sûrs d'être attaqués. Tout en préparant des munitions avec ce qu'il a pu récupérer sur place, la demoiselle choquée étant peu loquace, Fisher raconte sa vie…

De beaux indiens...avant leur déchéance tragique
Ce récit fascinant, et superbement raconté, nous fait revisiter les dernières feux d'une époque révolue, la conquête de l'ouest.
Il nous entraine de la naissance du héros, en 1836 au Texas, et son enlèvement à l'âge de trois ans par les comanches, à son engagement dans les troupes confédérées, découvrant l'horreur de la guerre et la proximité de la mort, …sa reconversion, faute de mieux, dans les équipes de Buffalo runner, les chasseurs de bisons, qui anéantirent des millions de bêtes avec leurs fusils longue portée redoutables, et son engagement au final comme homme de confiance d'un riche français ayant fait fortune au Texas dans l'industrie agro-alimentaire.

Fisher est un professionnel de la gâchette, ayant vécu de nombreuses expériences difficiles et douloureuses (perte de deux femmes), guerre, vie auprès des indiens, massacre des bisons, et il a une vision assez juste des crimes qu'il a commis. A cet égard, le rappel du génocide indien qui a été commis en privant ces peuples de leur réserves de nourriture dans les plaines américaines, fait froid dans le dos. Tiburce Oger aborde la tragédie et la déchéance de ces peuples, obligés au final de mendier dans des réserves, avec connaissance et respect. Le cadre du suspens dans lequel il nous place dés le départ n'est qu'un contexte narratif, qui soutient une tension permanente liée au parcours peu commun de cet homme rude.


J'avoue, je n'ai jamais été un amateur de Tiburce Oger. Cet auteur pourtant amateur de chevaux, d'armes anciennes et de western s'est plutôt fait connaître avec des séries d'Héroic fantasy (Gorn, Orull, Le Chevalie d'émeraude….) auxquelles je n'avais pas prêté attention.
Il aura fallu attendre 2015 pour qu'il publie enfin "Buffalo runner" et, justement, en amateur de western, c'est ce qui m'a attiré l’œil…
Vu la qualité de cet album, c'est à se demander si l'auteur n'était pas fait pour ce genre. On rappellera néanmoins son superbe scénario sur "Canoé Bay" avec Patrick Prugne au dessin, ...peut-être l'envie alors d'aller justement vers cet univers ?

Son récit a en tous cas la senteur des récits d' Elmer Léonard, grand auteur de western méconnu pour ce genre en France, et il est indéniable que cet album dont il réalise à la fois le scénario et le dessin restera parmi les meilleures parutions de l'année en cours.

Les édition Rue de Sèvres, dont a déjà vanté le catalogue naissant pour Le château des étoiles
ont aussi fait un superbe travail de maquette.

Chapeau ! (enfin... Stetson !)

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Analyses