mercredi 28 septembre 2016

Au fil de l'eau : un magnifique premier album solo

Au fil de l’eau
Juan Diaz Canales
Rue de Sèvres
Sept 2016
108 p.

La première chose qui frappe lorsque l'on ouvre ce grand format épais de 108 pages, c'est la qualité du papier, et le dessin, superbe, dés la première page : Un trait noir et blanc qui arrête le regard. Un travail graphique remarquable, exacerbant un certain classicisme.
Le récit pourrait raconter n’importe quoi, on serait preneur… Et bien qu'il ne s'agisse pas de n'importe qui, puisque Juan Diaz Canales et connu pour être, entre autre, le scénariste de Blacksad, ...cet album est le premier qu'il dessine !

Mais cette histoire de retraités espagnols : Longino, Urbano, Godofredo, Niceto, pris dans un engrenage face à un serment qui les dépasse, est aussi d’une originalité peu courante. Le tout posé dans une atmosphère et un scénario de polar superbement maitrisé, qui laisse place, ultime cerise, à un aspect quasi documentaire sur la vieillesse aujourd’hui en Espagne. Et le fait que cela se passe là-bas retient davantage notre attention, car de magnifiques décors, et l’aspect sociétal évoqués nous absorbent, comme dans un dédale d'éléments exotiques à découvrir.
Mais la pièce des générations qui se joue : les relations entre enfants, parents, grand parents, est aussi passionnante. L'auteur décrit assez finement le temps qui passe, inexorable. Et ce, de manière la fois poétique et dramatique. 

Car le chômage et les trafiques en tous genres, touchant aussi les anciens, éclate au grand jour, au vu et au su des services de police de quartier, qui ne peuvent malheureusement pas faire grand chose... même si Alvaro, le petit fils d'un des ancien y travaille.
L'auteur en profite aussi pour aborder les relations aux immigrés (chinois pour le coup), victimes collatérales des relations (pourries) avec la justice ou les flics. Là, c'est Roman, le propre  fils de Niceto, médecin légiste, qui est "mouillé" malgré lui.
Il ne fait pas bon vieillir dans certains pays d'Europe semble nous dire Canales... Mais pourtant, la vie continue, et l'espoir et là, tout proche.

Un magnifique premier album en solo, chaudement recommandé.

mardi 20 septembre 2016

Un délice, cette New deal de Jonathan Case.

The New deal
Jonathan Case
Glénat comics
Août 2016

Glénat comics nous ravit avec des titres toujours aussi exigeant depuis la reprise de la collection par Olivier Jalabert.
Les séries s'enchaînent et leur qualité ne faiblit pas. C'est dans un contexte de rentrée scolaire néanmoins que l'on découvre ce petit bouquin à la maquette très soignée, façon art-déco. Et si ce n'est pas de cette époque dont il s'agit puisque New deal, comme son nom l'indique, traite des années trente aux USA, la charmante demoiselle en couverture y renvoie ceci dit un peu.

New York, 1936, les États unis tentent tant bien que mal de se remettre de la crise de 1929 avec le New deal organisé par Roosevelt. Des bidonvilles se montent juste à côté de zones du centre ville, et l'hôtel Waldorf Astoria, l'un des plus prestigieux n'échappe pas à cette crise. C'est dans cet ilot fréquenté par les riches que se déroule ce huit clos.
Frank o'Malley est un jeune groom, peu débrouillard et un peu naïf, qui n'hésite pas à l'occasion à chaparder. Il s'entend plutôt bien avec Theresa, une demoiselle de couleur, femme de chambre un peu plus âgée que lui, qu'il aide à répéter. Celle-ci travaille en effet un rôle dans la pièce de Mac Beth lancée avec des fonds publics à Harlem par Orson Welles.
Jack Helmer, un ponte du cinema à qui Frank doit 400 $ arrive à l'hôtel, et Nina Booth, une superbe jeune femme apparemment riche ne tarde pas à faire aussi son entrée. Tout ce petit monde va cohabiter en se télescopant, jusqu'à ce qu'un incident : le vol d'un collier d'une vieille habituée de l'hôtel ne sème la zizanie...et ne révèle les personnages.

Mais qu'y a t-il sous ce rideau noir ?
P.63 ©Jonathan Case/Glénat comics


Jonathan case n'est pas encore très connu des lecteurs français. En tous cas, seules 2 publications en albums ont été éditées jusqu'alors dans l'hexagone. Deux thrillers : Le tueur de la Green river chez Ankama, (2012) et The Creep sur scénario d'Arcudi chez Urban comics en 2014. Mais son irruption chez Glénat ne va sans doute pas passer inaperçue.
La maîtrise dont il fait preuve dans cet exceptionnel roman graphique, mélangeant vaudeville, polar et (presque) super héros* est remarquable, tout comme l'apport documentaire culturel et social sur cette époque troublée (1). Mais que dire de son dessin ?
In a Catwoman style.
©J. Case/Dark Horse comics

Le trait de Jonathan case surprend ici par son penchant avoué pour la ligne claire (lire l'interview exclusive en fin de volume.) La clarté de ses lignes, rehaussées de tons gris-bleus clairs pour certaines couleur dont celle de la peau de Theresa est du plus bel effet. Passé cette bonne surprise, on s'attarde sur le coté comique (satirique) de beaucoup de situations, et les mimiques des personnages. En effet, au delà de faire écho à la pièce qui est en train de se monter dans les quartier pauvres, celles-là pourront aussi rappeler aux amateurs les comics de ces années 30, où l'outrance était (encore) de mise dans le journaux qui les publiaient. Beau second clin d'oeil au médium bande dessinée de la part de l'auteur. Quant aux autres influences, mise à part une référence personnelle à Annie Goetzinger, purement stylistique, due à la robe magnifique de Nina en couverture, j'ai vu un mélange de Vittorio Giardino et du grand Alex Toth dans le dessin très pur de Jonathan.
Un vrai délice.

(1) Plusieurs pages en fin de volume resituent le contexte social, politique, économique et culturel de l'époque.
* Voir le clin d'oeil à Catwoman en page 94. En effet, Jonathan Case a dessiné ce personnage pour DC. N'oublions pas aussi que les super héros sont apparus à la fin des années 30.



La page du livre sur le site de l'éditeur : http://www.glenatbd.com/bd/the-new-deal-9782344016220.htm

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mardi 13 septembre 2016

Un gant blanc qui invite au voyage chez Filidalo

Gant blanc
Frédéric Chabaud/julien Monier
Filidalo éditions
Juillet 2016

Fidèle à la politique de découverte de ce blog, essayant de mettre en avant des albums, récits, auteurs ou éditeurs sortant un peu de l'ordinaire, c'est avec un certain enthousiasme que j'ai sorti de la pile de nouveautés du magasin ce bel album cartonné.
Deux auteurs inconnus de moi, un éditeur itou, et une couverture plutôt réussie étaient déjà suffisant. Mais l'intérieur, aux traits onctueux et aux couleurs agréables inspirait le meilleur. Et c'est effectivement ce que j'ai découvert.


Londres, 1908, un jeune homme se voit hériter d'un drôle de coffret, par son père biologique qu'il ne connaissait pas et qu'il croyait mort d'un naufrage peu après son adoption. Dans ce coffret : un gant blanc, un bout de fétiche, une clé, un carnet...C'est grâce à ce dernier que nous allons remonter l'histoire incroyable de son propriétaire : Jonathan Wood, qui était parti en 1886 aux cotés d'un jeune lord : sir Brightman pour un voyage qui devait les mener à Chypre. Mais ceux-ci ne la virent jamais, suite à la récupération d'un étrange naufrage tatoué qui sema le chaos sur leur bateau et changea à jamais la vie de Jonathan.

La malédiction "bienveillante" de Jonathan. 


Frederic Chabaud a écrit là un superbe scénario, dans la grande tradition des récits d'aventures du XIXeme siècle. Ses personnages, attachants, se frottent à de la sorcellerie, des courses poursuites dans la jungle, de la mythologie...et l'auteur parvient à nous tenir en haleine en mêlant de nombreuses références et nous faisant voyager sur de nombreux continents, maintenant à chaque chapitre un suspens de qualité. De son côté, Julien Monier excelle dans le dur exercice d'illustration d'un album de ce genre, et sa maîtrise d'une technique très personnelle, pouvant néanmoins rappeler un subtil mélange entre un Fred Bernard ou un Jean Claude Denis, fait d'un encrage gras et des aplats de couleurs doux très agréables, apportent le support étonnant mais idéal à cet album.(*) 
Hergé vous avez dit ? L'Aventure !
©F. Chabaud/J. Monier/Filidalo


Ce récit de 76 pages n'est pas qu'une introduction, mais les deux dernières cases nous invitent directement à un second tome pour "trouver des réponses". Ca sera un grand plaisir tant la découverte a été heureuse.
> Tous publics et chaudement recommandé.


(*) Celui-ci avait déjà publié avec le même scénariste et chez le même éditeur en 2015 :
Fatalitas (104 pages). On s'empressera donc de le commander.

Le site des éditions Filidalo : http://www.editionsfilidalo.com/catalogue-2


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dimanche 11 septembre 2016

Marazano et Guilhem ressucitent à nouveau Tesla dans un album de toute beauté

Les trois fantômes de Tesla
Marazano/ Guilhem
Lombard sept 2016

Richard Marazano, parmi ses nombreux projets, nous invite avec cette nouvelle série dans un récit à l’apparence steampunk se déroulant à New-York en 1942, et mettant en scène les deux scientifiques renommés que tout a opposé : Thomas Edison et Nikolas Tesla. 
Pour nous servir de guide au milieu de cette intrigue très fantastique : le jeune Travis Ciolem, qui vient d’emménager avec sa maman, à Manhattan au 13, 21th east street, au treizième étage d’un immeuble, dont l’un des voisins est un vieux monsieur peu loquace qui cache un grand secret : Nikola Tesla.

Il faut avoir lu quelques lignes de la biographie de Tesla pour comprendre combien Marzano n’a pas eu beaucoup à tergiverser, on imagine, avant de décider de l’adapter en bande dessinée*. Celle-ci fait en effet la part belle à des inventions incroyables et historiques, concernant l’électricité et le magnétisme. De plus, la rivalité qui a opposé ce scientifique d’origine Croate et l’américain Edison, pour lequel il a d’abord travaillé, donne matière à de nombreux rebondissements et une atmosphère de tension permanente, que le scénariste utilise pour faire monter son suspense, dans des décors de début de troisième guerre mondiale intéressants. En effet, l’invention de Tesla concernant  des appareils télécommandés est l’élément de science-fiction le plus fantasque de ce premier tome, utilisé pour montrer des robots se déplaçant dans l’East river, et une menace japonaise.


Mais Marazano va plus loin, en jouant sur le lien entre l’énergie magique qui procure la vie, (l’électricité), et le pouvoir que celle-ci peut donner, aux vivants (l’armée par exemple), comme aux morts, pour pousser son récit dans un univers à la Hellboy, où les damnés se servent aussi des forces électriques pour leur permettre une seconde vie. > Les fantômes du titre.  On notera ceci-dit que l'on avait déjà pu lire un album où Nikola Tesla et Edison étaient utilisés comme personnages d'une histoire fantastique, dans l'épisode : "le monstre", in Tarzan, de Kindzierski et Stan, en 1998 chez Soleil. Il s'agissait alors de son séjour à Paris entre 1882 et 1888.


En conclusion : un très bon premier tome, très agréablement dessiné par Guilhem, déjà remarqué avec les séries jeunesse Space mounties (Lombard) et Zarla (série d’héroic fantasy humour chez Dupuis) et dont le trait a ici gagné en réalisme.
Les couleurs, sombres, dans les tons de bleus gris et de jaune orangés appuient parfaitement les ambiances inquiétantes. La maquette, quant à elle, vaut quasiment à elle seule le détour, avec une couverture cartonnée magnifiquement réalisée, avec dorure à chaud, sur une illustration évoquant la Guerre des mondes de HG Wells.

Recommandé. Tous publics.

(*) 
A visiter : le site Teslapapers mis en place par le Lombard, présentant les fiches documentaires sur Tesla, que l’on trouve actuellement sur les pages de garde de l’album, et qui sera alimenté avec de nouveaux éléments assez rapidement (fiches du FBi, autres articles etc ...)

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jeudi 1 septembre 2016

La grande aventure de Tintin

Parmi les nombeuses nouveautés de cette rentrée : un pavé.
La grande aventure de Tintin
Ed Moulinsart/le Lombard 
26 Août 2016




A l'occasion des 70 ans de la création du journal Tintin, les éditions du Lombard publient : "La grande aventure de Tintin".  Un énorme bouquin qui nous invite à découvrir les coulisses du journal des jeunes de sept à 77 ans. Il est sous-titré : 1946-1988 et aborde donc toutes les années de parution jusqu'au dernier numéro.
Si l'on avait déjà pu acquérir il y a quelques années au moins deux ouvrages que l'on ne pourra s'empêcher de comparer, sur le même thème; les fameux "Le Lombard, un demi siècle d'aventure" (Jean-Louis Lechat, 2 tomes en 1996/97) déjà remaquettés et augmentés en 2006/2007, par Patrick Gaumer, en trois tomes sous le titre : " Le Lombard l'aventure sans fin 1946-2006", on est surpris par le nouvel angle et la pagination monstrueuse (777 pages) de cette nouvelle création éditoriale. 

Car si l'on retrouve en effet le travail original de Philippe Goddin sur l'aventure, année par année, du journal, (80 pages), on a par contre le plaisir de découvrir de nombreux inédits ou pages rares, comme le précise la notice de l'éditeur :

" Plus de 600 pages de bande dessinée composées des histoires complètes les plus belles, les plus rares ou les plus légendaires parues dans le journal. De nombreuses pages sont totalement inédites en album et trouvent ainsi une seconde vie après leur parution dans l'hebdomadaire. Des pages de Hergé, Jacobs, Tibet, Martin, Rosinski, Franquin, Cuvelier, Pratt, Derib, Cosey, Graton, Vandersteen, Macherot, Hermann, Greg, Van Hamme, Turk, Vance, De Groot, Dany, et de dizaines d'autres auteurs de légende sont réunies pour la première fois dans cet ouvrage unique.

 







Et Hergé y a bien sûr une place d'honneur : en début d'album plus de 70 pages évoquent sa collaboration au journal Tintin, que ce soit à travers les nombreuses couvertures réalisées ou ses multiples contributions aux différentes rubriques du journal", dont des publicités, et la première page fac similée de tous ses récits de Tintin ou Jo Zette et Jocko publiées à l'époque  dans le journal. (Ndlr) 





Bref, l'occasion, pour celles et ceux qui ne pourront se payer les excellents recueils "
Hergé, le feuilleton intégral"*, de couper la poire en deux et de s'offrir une part du rêve avec ce livre très intéressant,  pour un montant moins onéreux. 
Hergé, le feuilleton intégral, tome 11




(*) Ceux-ci proposent l'intégralité des récits originaux de Hergé parus dans la revue, avec leurs à côtés. (Deux tomes sur douze parus à ce jour, ed. Moulinsart, 80€ piece.)

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Analyses