jeudi 26 juin 2014

Nicholas Grisefoth : la bande dessinée finlandaise à l'honneur chez Mosquito

Nicholas Grisefoth
la vengeance du Marchand (T2/2)

Lukkarinen et Ruusuvuori
Mosquito
Mars 2012

Pas une nouveauté aujourd'hui, puisque cet album date de 2009 en édition originale et a déjà deux ans pour cette traduction. Mais cet album fait partie du superbe catalogue des éditions Mosquito, que tout vrai amateur de bande dessinée se doit de connaître et défendre.
Edition originale tirée de
http://www.koivunalho.org

An de grâce 1299, golfe de Finlande : Nicholas Grisefoth, marchand du village de Kirkesund, accompagné du barde Detmar, son garde du corps, effectue une dangereuse mission pour le chanoine Elavus. Il doit récupérer une bague précieuse, afin que celle-ci puisse compléter la chasse des restes de saint Henrik, relique d'une valeur inestimable aux yeux des croyants. Enrichissant de fait ses gardiens.
Mais il est aussi lié en double jeu aux moines franciscains Cuno et Winandus, qui lui ont fait un marché alléchant. Il doit en effet tenter de remplacer les reliques par de fausses, afin de déjouer les plans du chanoine.

Mais au milieu de ces enjeux trop puissants pour lui, Nicholas n'est qu'un pion. Comment va t'il s'en dépêtrer ?

Suite et fin de l'épisode commencé avec "Les ossements de Saint Henrik", "La vengeance du marchand" clôt une aventure pleine de suspens et de rebondissements. On s'y promène entre villages isolés dans des déserts enneigés au mileu des loups, et villes fortifiées, grouillantes d'intrigues.

Un beau travail d'édition.
©Mosquito et les auteurs. p.19


Le style graphique très particulier de Hannu Lukkarinen, avec un noir et blanc de toute beauté rappellera à la fois  le serbe Zezelj, l'argentin Jorge Zaffino, ou par moments l'espagnol Victor de la fuente.
Quant à la narration de Juha Ruusuvuori, elle évoque aussi bien Corto Maltese pour ses intrigues pernicieuses, Toppi et son "Collectionneur", ou parfois Hellboy dans ses aspects les plus magiques. (D'ailleurs, Nicholas ne porte t-il pas un pied en forme de bouc ?)

Que de superbes références donc, pour un diptyque "haut en couleur", même si c'est c'est le noir et blanc qui domine, normal pour le pays du froid me direz-vous. Il est en tous cas très intéressant de pouvoir découvrir des œuvres de cette qualité, sortant des sentiers battus.

Les amateurs de J-George R. Martin y trouveront aussi matière à plaisir, dans cette fin de moyen-âge se déroulant aux confins du nord, avec toutes les légendes et aspects barbares que cela implique.

A découvrir absolument.

Un troisième volume "La nef de pierre", a paru en Septembre 2013.
Et Mosquito nous annonce pour bientôt un autre album de Lukkarinen : "Ronkoteus", en collaboration avec l'écrivain Arto Paasilinna.
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A lire : un article sympa  sur le dyptique : sur http://www.mortelmanagement.com

La page de la série sur le site des éditions Mosquito

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lundi 23 juin 2014

Virginia ou les fantômes de Doyle

Virginia
T2/3 Delirium tremens

Séverine Gauthier, Benoit Blary
Casterman
Juin 2014

On est d'abord interpellé par les grands formats aux couvertures couleurs pastel et aux dessins étranges de ces albums.
Un soldat sudiste dépravé, avançant aux côté d'une petite fille mortellement touchée au coeur, et d'une armée de soldats fantômes pour le tome 1;  un décor délavé de bayou, portant une pirogue menée par une enfant fantôme sur ce tome 2.
Puis la maquette, sobre, mais belle, utilisant en 1er de couv une police de titre typée XIXeme.

Une fois l'album ouvert, le charme opère encore, grâce au dessin très agréable et original (une aquarelle sous un encrage très fin), et ce scénario de repentance, au sortir de la guerre de sécession :

Janvier 1863, lake Providence : un inconnu débarque de la diligence. Barbu, peu loquace, celui-ci se rend chez le médecin du coin, et demande, ordonnance à l'appui, un produit pour sa blessure à la jambe. Le médecin, sceptique ?; lui prescrit du laudanum.
Plus tard dans la nuit, l'inconnu revient et par effraction dévalise le stock de morphine de la boutique.

Flash back : Sur le champ de bataille, Doyle, car c'est son nom, est un jeune caporal tireur d'élite, qui doit abattre, en embuscade, un général nordiste. Mais ce dernier porte sa fille dans ses  bras.
C'est cette situation critique qui va être le départ d'un drame pour Doyle, et le plonger dans une fuite en avant peuplé de fantômes.

©Casterman/Blary,Gauthier
Le premier tome installait l'intrigue et l'ambiance, sur le dessin bien particulier, et très agréable pour les amateurs de bande dessinée exigeante, de Benoit Blary, qu'on avait déjà eu l'occasion de féliciter lors de la chronique de Sigur et Vigdis, chez  le Lombard.
Ce second tome (sur trois), nous emmène un peu plus loin dans le développement de l'histoire, avec l'apparition des esclaves fugitifs au milieu des bayous, qui recueillent Doyle, vrai déchet humain, poursuivi par ses démons, afin de lui demander son aide de tacticien militaire.
Le lien avec cette équipe se fait par le biais de Virginia, une enfant noire, la fille du chef de cette troupe, celle-là même que Doyle avait sauvée d'une pendaison à la fin du premier tome.
Deux Virginia ? et un lien entre elle peu commun...
Ce qui va arriver à chacun des protagoniste nous sera révélé on l'espère dans le dernier album.

On est toujours aussi admiratif du style graphique de Blary, qui nous offre à l'occasion de ce second tome deux pleine pages d'aquarelles décrivant les rêves hallucinés de Doyle, en manque de Morphine, et du découpage au cordeau de Séverine Gauthier, qui, bien que peu connue du petit monde de la bande dessinée "adulte"*, excelle dans cet exercice du "eastern" fantastique.

Tout deux confirment donc leur talent sur cette série, avec un triptyque à venir, assez étonnant et courageux, qui fleure bon l'esprit alternatif que l'on aime aussi au cinéma dans les films d'un Eastwood ou d'un Tommy Lee Jones.
> Recommandé.

….
*Elle vient plutôt de l'édition jeunesse : Delcourt, Soleil Prod, et a beaucoup travaillé avec Thomas labourot. Un de leurs faits d'arme résidant certainement, pour la bande dessinée, dans la série indienne "Washita" : cinq tomes chez Dargaud, de 2009 à 2011.

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samedi 14 juin 2014

Station 16 : le passé les rattrape

Station 16
Yves H/Hermann
Signé Lombard, janvier 2014

Une collection de confiance : "Signé", deux auteurs "familiaux" reconnus et appréciés. et une couverture, alléchante. Cette "Station 16 "est engageante, car intrigante.

Severnaïa, nouvelle Zemble, Mai 1997. Sur cet archipel russe désertique et glacé, à l'extrême nord du pays, une équipe militaire capte un SOS radio étrange provenant de la station 16. Mais il se trouve que cette station, connue pour ses nombreux essais nucléaires dans les années 50 est abandonnée depuis.
Dés lors, dans le doute, une petite troupe part en hélicoptère pour une mission de reconnaissance et de sauvetage. Mais ce qu'ils vont trouver sur place défie l'entendement…

Yves H a prouvé avec les précédents albums réalisés avec son père (Trilogie USA, Zong Guo, Liens de sang…) qu'il savait écrire de bonnes histoires en one-shot. Il le prouve une fois encore ici, avec un récit fantastique se servant des ambiances tendues propices de la guerre froide. Si la situation de départ est déjà étrange : ces soldats désœuvrés, s'amusant à jeter des pierres à un ours blanc dans une base où rien ne se passe, leur départ pour la station 16 est la porte d'un glissement vers l'irréel.
On suit l'évolution de la situation par le biais des yeux de Grichka, bleu de la patrouille, qui va vivre avec ses compagnons une expérience terrifiante.

Image issue du site Lombard. ©Hermann/Lombard

Si on aime le dessin d'Hermann, toujours aussi agréable et efficace, et cette intrusion scénaristique dans les domaines fantastique/science-fiction, plutôt bien traitée et angoissante, on reste un peu sur notre faim avec le final, quelque peu "facile", qui aurait mieux convenu à un court récit qu'à un album de 58 pages.
Le rebondissement non-sensique et à l'humour noir, typique des EC comics, distille en effet un sentiment de fin en queue de poisson peu emballant. On aurait préféré rester dans l'univers irréel ou dans le doute total.
Le fait qu'en fin de volume, Yves H propose 4 pages sur son projet, mêlant dossier historique sur cette station ayant vraiment existée et l'idée du développement de son scénario, tend à nous faire penser que cela était utile, pour mieux comprendre l'album.
Ce n'est pas le cas.

Une fin un peu dommageable, pour un album par ailleurs très agréable, et bien glauque.
Fascinant en tous cas.

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dimanche 8 juin 2014

Northlanders : vous me mettrez 1 kilo 6 de Vikings !

Northlanders
T1 le livre anglo-saxon

Brian Wood/ collectif
Urban/ vertigo essentiels Fev 2014

Northlanders, gros pavé cartonné de 480 pages, format comics, se pose là comme bande dessinée. Un livre dont l'épaisseur et la couverture hyper accrocheuse (peinture de Davide Gianfelice) suffiraient à elles seules à garantir une place de choix dans toute bibliothèque.
Mais si l'apparence de ce premier recueil consacré aux Vikings est soignée, la maquette intérieure et la qualité des récits remportent aussi l'adhésion.
D'ailleurs, Urban comics a décidé, en concertation avec Brian Wood de choisir pour ce volume rassemblant 19 comics, un ordre chronologique et une unité de lieu : les îles anglo-saxonnes.

Au delà des textes très intéressants de Patrick weber (5 pages), de recherches graphiques, des couvertures originales, et des biographies d'auteurs, la maquette propose le sommaire suivant :

- Lindisfarme,
Nord de l'Angleterre. 759 après JC
Dessin Dean Ormston, 2 chapitres.

L'arrivée des Vikings dans le village de Lindisfarme, où un père et son fils, se sentant protégé par l'imposant monastère représentant le dieu tout puissant, ne réalisent pas l'implacable détermination du peuple des mers.
Le fils, lui, ne se reconnaissant pas dans le catholicisme imposé, va, à force de rêveries éveillées, participer au cauchemar…
Image issue du site Delcourt


- Skjaldmos
Midlands, 868 ap. JC
Dessin Daniel Zezelj,  2 chapitres

Les saxons veulent aussi les terres où se sont établis les danois, (la Mercie danoise), et ils pillent et tuent, mettant en fuite trois femmes guerrières, les "Skjalmos". Poursuivies, elles se réfugient au sein d'un petit château abandonné, à moitié immergé., rendu accessible lors de la marée basse. Elles vont défendre le trésor de leur village, emporté avec elles, avec fureur, puis devenir malgré elles une légende.

- Sven le revenant
Les Orcades, nord de l'Ecosse 980 ap. JC
Davide Gianfelice, 8 chapitres.

Sven est un Varègue, (mercenaire suédois ou danois écumant les routes maritimes de l'actuelle Russie à Constantinople). il va retourner aux Orcades, d'où il vient, afin de tenter de récupérer son trône, spolié étant enfant par son oncle. Mais il n'est ici qu'un étranger…

Sven le revenant à un quelque chose de Beowulf, dans la force que met cet homme, seul, à vouloir réparer une injustice, et dans les décors de falaises déchirées qui nous nous sont proposés, lors des derniers passages du récit.

L'histoire mouvementée et dramatique d'un homme au destin compromis, où la rage le cèdera à l'abnégation.

- La fille de Thor
Les Hébrides, ouest de l'Ecosse, 1014 ap. JC
Marian Chruchland, 1 chap.

Etre fille de chef, cela ne suffit pas à être reconnue comme tel, surtout lorsque celui-ci meurt, assassiné.
Birna Thordottir devra prouver, arme à la main, qu'elle est capable de mener son peuple.

Ryan Kelly ne fait pas dans la dentelle.
http://funrama.blogspot.fr/

- La croix et le marteau
Irelande, 1014 ap. JC
Ryan Kelly, 6 chapitres.

Dernière histoire, mais pas la moins poignante. Celle-ci nous conte la fuite effrénée de Magnus, force de la nature, accompagné de sa jeune fille, au sein des landes irlandaises occupées.
Ragnarsson est le chef d'une troupe envoyée par le roi Sigtrygg, afin de mater la dernière rébellion menée par ce loup solitaire, sanguinaire et insaisissable.

Quel combat mérite d'être mené ? Quand commet-on l'irréparable ? Peut-on garder son humanité au sein d'une guerre ?
Voilà quelques thèmes abordés dans ce récit fort, sans concessions, dessiné par le très expressif Ryan Kelly ("Local", chez Delcourt)


Northlanders, débuté en 2007 aux USA était annoncé comme une série de qualité consacrée à ce peuple mal connu que sont les Vikings.
Brian Wood (DMZ), scénariste inspiré, a su écrire de très bonnes histoires à partir de bases historiques solides, et s'entourer de dessinateurs tous très talentueux, se mettant parfaitement au service des histoires.

Une série destinée à la fois aux amateurs d'histoire et de Comics, pleine de bruit de fureur, de couleurs... mais ne négligeant pas le fond. Donc incontournable.


Deux autres tomes sont annoncés : Le livre islandais, et le livre européen.

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Analyses